Article original
Épidémiologie des réactions anaphylactiques et anaphylactoïdes peranesthésiques en France. Septième enquête multicentrique (Janvier 2001–Décembre 2002)Anaphylactic and anaphylactoid reactions occurring during anaesthesia in France. Seventh epidemiologic survey (January 2001–December 2002)

https://doi.org/10.1016/j.annfar.2004.10.013Get rights and content

Résumé

Objectifs. – Les réactions d’hypersensibilité immédiate, qu’elles soient médiées par les immunoglobulines E (anaphylaxies) ou non-immunomédiées (réactions anaphylactoïdes) survenant au cours de l’anesthésie demeurent un sujet de préoccupation majeure pour les anesthésistes, dans la mesure où elles surviennent souvent de manière imprévisible, peuvent menacer la vie, et réagissent parfois mal au traitement habituel. Les auteurs rapportent les données de la dernière enquête nationale effectuée par le GERAP (Groupe d’Études des Réactions Anaphylactoïdes Peranesthésiques) en 2001 et 2002, et comparent les résultats avec ceux des enquêtes précédentes.

Patients et méthodes. – Au total 712 patients ayant présenté une réaction d’hypersensibilité immédiate ont été adressés en consultation dans l’un des 40 centres d’allergo-anesthésie du GERAP. Le diagnostic d’anaphylaxie reposait sur l’existence d’une histoire clinique caractéristique, d’une élévation des taux de tryptase sérique prélevée au moment de la réaction, et de tests cutanés et/ou d’IgE spécifiques positifs, dans le cas contraire les réactions étaient qualifiées de réactions anaphylactoïdes.

Résultats. – Une anaphylaxie a été diagnostiquée chez 491 patients (69 %), une réaction anaphylactoïde chez 221 patients (31 %). Les médicaments les plus fréquemment responsables d’une anaphylaxie étaient les curares (n=271, 55 %), le latex (n=112, 22,3 %) et les antibiotiques (n=74, 14,7 %). La succinylcholine (n=102, 37,6 %) et le rocuronium (n=71, 26,2 %) ont été les curares les plus fréquemment incriminés. Une réaction croisée entre différents curares a été retrouvée dans 63,4 % des cas. Aucune différence n’a été observée dans les antécédents des patients ayant présenté une réaction anaphylactique ou anaphylactoïdes (ex. atopie, intolérance alimentaire ou médicamenteuse). Cependant, l’incidence de l’atopie ou d’une intolérance alimentaire était plus élevée en cas d’anaphylaxie au latex comparée aux curares. Les manifestations cliniques étaient plus sévères en cas d’anaphylaxie. Dans cette enquête, la valeur prédictive positive d’une élévation du taux de tryptase sérique pour le diagnostic d’anaphylaxie a été estimée à 95,3 %, la valeur prédictive négative à 49 %. L’intérêt du dosage des IgE spécifiques des curares a été confirmé.

Conclusion. – Ces résultats confirment la nécessité d’un bilan systématique en cas de survenue d’une réaction d’hypersensibilité immédiate survenant au cours de l’anesthésie, et l’intérêt du développement de centres de consultation spécialisé en allergo-anesthésie capables d’apporter une aide aux anesthésistes et aux allergologues.

Abstract

Objectives. – Hypersensitivity reactions IgE-mediated (anaphylaxis) or non-IgE-mediated (anaphylactoid) reactions occurring during anaesthesia remain a major cause of concern for anaesthesiologists, since these reactions remain usually unpredictable, may be potentially life-threatening even when appropriately treated. The authors report the results of the last 2-year survey (2001, 2002) of such reactions conducted in France by the GERAP (groupe d’étude des réactions anaphylactoïdes peranesthésiques), and compare these results with their previous published surveys.

Methods. – Between January 1, 2001 to December 31, 2002, 712 patients who experienced immune-mediated (anaphylaxis) or non-immune-mediated (anaphylactoid) reactions were referred to one of the 40 allergo-anaesthesia centres members of the GERAP. Anaphylaxis was diagnosed on the basis of clinical history, tryptase measurements during the adverse reaction, and skin tests and/or specific IgE assay.

Results. – Anaphylactic and anaphylactoid reactions were diagnosed in 491 cases (69%) and 221 cases (31%), respectively. The most common causes of anaphylaxis were neuromuscular blocking agents (NMBA) (n=271, 55%), latex (n=112, 22.3%), and antibiotics (n=74, 14.7%). Succinylcholine (n=102, 37.6%) and rocuronium (n=71, 26.2%) were the most frequently incriminated NMBAs. Cross-reactivity between NMBAs was observed in 63.4 % of cases of anaphylaxis to a NMBA. No difference was observed between anaphylactoid and anaphylactic reactions when the incidences of atopy, food, or drug intolerance were compared. However atopy, asthma and food allergy were significantly more frequent in case of latex allergy, when compared with NMBA allergy. Clinical manifestations were more severe in anaphylaxis. The positive predictive value of tryptase measurementfor the diagnosis of anaphylaxis was 95.3%, the negative predictive value 49%. The diagnostic value of specific neuromuscular blocking agent IgE assays was confirmed.

Conclusion. – Our results further corroborate the need for systematic screening in case of immediate hypersensitivity reaction during anaesthesia and for the constitution of allergo-anaesthesia centres to provide expert advice to anaesthesiologists and allergologists.

Introduction

Les substances responsables de réactions allergiques en cours d’anesthésie sont régulièrement colligées en France depuis plus de 15 ans, grâce aux études épidémiologiques réalisées à intervalles réguliers par le groupe d’étude des réactions anaphylactoïdes peranesthésiques (GERAP). Ce groupe informel, créé à la suite de plusieurs séminaires traitant de ce sujet, s’est progressivement structuré et étoffé. Il est constitué de médecins anesthésistes-réanimateurs, allergologues et biologistes, qui ont créé ensemble des consultations d’allergo-anesthésie au sein desquelles sont adressés pour bilans diagnostiques et conseils anesthésiques les patients ayant présenté une réaction peranesthésique faisant suspecter une anaphylaxie. Les méthodes diagnostiques ont été uniformisées et sont désormais fondées sur les Recommandations pour la pratique clinique (RPC) publiées en 2001 par la Société française d’anesthésie et de réanimation (Sfar) et la Société française d’allergologie et d’immunologie clinique (SFAIC) et dont la méthodologie a été validée par l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (Anaes) [1]. L’uniformisation des méthodes diagnostiques a permis le regroupement, sur la base d’une déclaration volontaire, des résultats des bilans pratiqués dans les consultations d’allergo-anesthésie du GERAP en vue de leur publication régulière. Depuis 1984, six enquêtes successives ont permis de présenter plusieurs milliers d’observations cliniques [2], [3], [4], [5], [6], [7], constituant ainsi, avec les séries australiennes [8], [9] et anglaises [10], [11], [12], une des bases de connaissances les plus importantes dans le domaine de l’allergie en anesthésie. Cette surveillance épidémiologique régulière permet tout à la fois d’évaluer le potentiel allergisant des substances utilisées en anesthésie, parallèlement à l’évolution des pratiques, de définir les expressions cliniques, de tenter d’identifier les facteurs et les groupes à risque et de définir la démarche diagnostique à suivre en cas de réaction, ainsi que la stratégie à adopter pour les anesthésies ultérieures. La septième enquête faisant l’objet du présent rapport regroupe les résultats des investigations effectués dans les centres d’allergo-anesthésie chez les patients ayant fait une réaction d’hypersensibilité entre le 1er janvier 2001 et le 31 décembre 2002.

Section snippets

Patients et méthodes

Il s’agit d’une étude rétrospective incluant les patients adressés en consultation d’allergo-anesthésie dans les centres de consultation spécialisée constituant le GERAP.

Le protocole de recueil des données incluait un questionnaire portant sur l’âge du patient au moment de la réaction, le sexe, le nombre d’anesthésies antérieures, les antécédents allergiques (atopie, intolérance médicamenteuse, alimentaire, sensibilisation au latex), la date de la réaction et les médicaments administrés avant

Patients

Au total, 712 patients ayant fait une réaction clinique évocatrice d’une anaphylaxie entre le 1er janvier 2001 et le 31 décembre 2002 ont été inclus dans l’étude. À la fin du bilan allergologique, un diagnostic d’anaphylaxie documentée a été retenu dans 491 cas (69 %), alors que 221 cas (31 %) étaient considérés comme des réactions anaphylactoïdes non IgE médiées. Une prédominance féminine a été observée dans les deux groupes (anaphylaxie : femmes, n = 332 [67,6 %] ; hommes, n = 159 [32,4 %] ;

Discussion

Cette étude présente les résultats de la septième enquête conduite en France par le GERAP dont les travaux multicentriques ont débuté en 1985, permettant de constituer progressivement l’une des plus grandes banques de données concernant l’épidémiologie des réactions anaphylactiques et anaphylactoïdes survenant au cours de la période périanesthésique. Face à l’évolution constante des pratiques en anesthésie et à la complexité des investigations allergologiques, nos résultats démontrent la

Conclusion

La survenue d’une réaction anaphylactoïde peranesthésique demeure un sujet de préoccupation en anesthésie, et l’incidence de ces réactions est probablement sous-estimée. En effet, les consultations d’allergo-anesthésie ne font pas toutes partie du GERAP, quelques centres participant habituellement à nos enquêtes n’ont pas répondu, et plusieurs CHU n’ont pas de consultation spécifique structurée. De plus, certains malades ne se rendent pas en consultation, et certains cas les plus graves,

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    Membres du Groupe d’études des réactions anaphylactoïdes peranesthésiques : Angers : Dr C. Cottineau, service d’anesthésie-réanimation chirurgicale B, CHU, Dr M. Drouet, service d’allergologie générale, CHU ; Besançon : Dr P. Girardin, Dr M. Vigan, service d’allergo-dermatologie II, CHU, Dr Ph. Koeberlé, Dr N. Boichut, service d’anesthésie-réanimation, CHU ; Bordeaux : Dr S. Guez, unité des maladies allergiques, CHU hôpital Pellegrin ; Brest : Dr J.C. Rakotoseheno, service d’anesthésie-réanimation, CHU ; Caen : Dr D. Laroche, laboratoire de biophysique, CHU, Dr M.C. Vergnaud, service de pneumo-allergologie, CHU ; Châlons/Saône : Dr Ph. Scherer, service d’allergologie, Clinique Ste-Marie ; Colmar : Dr O. Theissen-Laval, service d’anesthésie-réanimation, Hôpitaux civils ; Dijon : Dr E. Collet, service d’allergologie, CHU, Dr N. Louvier, service d’anesthésie, Centre Georges François Leclerc ; Dreux : Dr B. Duffin, CHG ; Epinal : Dr F. Jacson, service d’allergologie, CHG ; Grenoble : Dr C. Jacquot, service d’anesthésie-réanimation, CHU ; Lille : Dr A. Facon, Samu du Nord, CHU ; Limoges : Dr I. Orsel, service d’anesthésie-réanimation, CHU ; Lyon : Dr Y. Benoit, Dr I. Topenot, unité d’allergo-anesthésie – service d’anesthésie-réanimation, CHU ; Montluçon : Dr Ph. Chalmet, service de médecine et d’allergologie, CHG ; Montpellier : Dr M.C. Bonnet-Boyer, service d’anesthésie-réanimation, CHU ; Nancy : Pr M.C. Laxenaire, Pr P.M. Mertes, Dr C. Mouton-Faivre, service d’anesthésie-réanimation, CHU, Pr D.A. Moneret-Vautrin, Dr S. Widmer-Labadie, service de médecine interne et allergie, CHU, Pr J.L. Guéant, Dr I. Gastin, service de biochimie des protéines, CHU ; Nantes : Dr J.M. Malinovsky, service d’anesthésie, CHU, Dr F. Wessel, service de pneumologie, CHU ; Paris : Dr C. Neukirch, Dr C. Sauvan, Dr Thetis, service de pneumologie, CHU Bichat, Pr F. Leynadier, Dr J.E. Antegarden, Dr H. Gaouar, centre d’allergologie, CHU Tenon, Dr D. Brunet-Langot, service de pneumologie- allergologie pédiatrique, CHU Necker, Dr M.F. Defrance, service de pneumologie et allergologie, Hôpital St-Joseph ; Poitiers : Dr K. Breuil, service d’allergologie, Clinique de la Providence ; Reims : Dr A. Gallet, service d’anesthésie-réanimation, CHU, Dr F. Lavaux, service de pneumologie, CHU ; Remiremont : Dr E. Beaudouin, service d’allergologie, CHG ; Rennes : Dr M.M. Lucas, service d’anesthésie-réanimation, CHU, Dr Y. Delaval, service de pneumologie, CHU ; Saint-Nazaire : Dr J.P. Mallet, service de pneumologie, CHG ; Strasbourg : Dr J. Valfrey, service d’anesthésie-réanimation, CHU ; Tarbes : Dr J. Gayraud, service de pneumologie, Polyclinique de l’Ormeau ; Saint-Étienne : Dr C. Dzviga, Dr Lambert, service de dermatologie et allergologie, CHU ; Toulouse : Dr D. Giamarchi, Dr I. Migueres, service de pneumo-allergologie, CHU Purpan ; Valence : Dr D. Basset-Stheme, allergologie, Clinique Générale.

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